OLBIA
par Albert de La Marmora
Itinéraire de l’Ile de Sardaigne
Turin 1860
Chez les Frères Bocca, Libraires du Roi
en italien:
Le nom le plus ancien, et je dirai même, le plus classique de la ville qui a fleuri en ce lieu, est celui d’Olbia (la belle). Selon tous les historiens qui ont parlé de l’origine de cette ville, à partir de Pausanias, elle aurait été bâtie par Iolaus; le voyageur Grec, après avoir fait mention de Norax et de sa colonie en Sardaigne, ajoute: «cette peuplade (de Norax) fut suivie d’une autre commandée par Iolas et composée de Thespiens, auxquels s’étaient joints quelques peuples de l’Attique. Ils fondèrent les villes d’Olbia et d’Agylé. On voit encore aujourd’hui en Sardaigne des lieux qui portent le nom d’Iolées et dont les habitants rendent de grands honneurs à Iolas».
[… En suite les Carthaginois conquirent l’île et] on peut croire que le régime Carthaginois devint dans la suite moins odieux aux indigènes, puisque nous voyons que ces derniers prirent parti pour eux contre les Romains; et de l’autre côté nous voyons ces mêmes Carthaginois adopter le culte des héros et demi-dieux de l’île, puisque Iolaus héros Sarde dont il a été fait mention ci-dessus, fut invoqué et pris à témoin par Annibal dans son fameux traité avec Philippe de Macédoine.
En 697 de Rome, Quintus Tullius, frère de Cicéron, demeurait à Olbia comme légat de Pompée. Parmi les différentes lettres que l’illustre orateur lui adressait, il y en a une dans laquelle il l’engage à se garder du mauvais air, même pendant l’hiver; ce qui semble annoncer que ce pays était déjà réputé aussi malsain qu’il Test aujourd’hui. En effet, Terranova passe encore pour un des lieux de l’île où la malaria est le plus à craindre. […]
Olbia Romaine aurait eu une extension considérable; elle aurait renfermé des édifices marquants, des fontaines ornées de marbre, des temples et autres monuments dont il ne reste plus de vestiges, soit à cause des grandes destructions qu’ont subies de la part des Vandales et des Sarrasins les deux villes qui se sont succédé en cet endroit, soit par les dégâts qu’y firent les Génois et les Pisans. […]
Cela n’a pas empêché que dans ces dernières années on n’ait encore recueilli dans ces lieux des objets importants, et entre autres des bijoux et surtout des pierres gravées, qui sont, en général, les plus belles et les mieux travaillées parmi celles que l’on a rencontrées dans les débris des autres villes anciennes de l’île; ce qui prouve que les arts florissaient davantage à Olbia, et ce qui annonce la richesse et le luxe de ses anciens habitants.
Cette église n’est plus officiée maintenant que deux fois dans l’année; le reste du temps elle est habitée par une multitude d’oiseaux tels que des Pigeons, de petites Corneilles (Corvus monedula) des Hirondelles et autres volatiles diurnes et nocturnes. Aussi M. Valéry, lorsqu’il y entra, la compara à une volière, «tant (dit-il) il y avait d’oiseaux qui faisaient un vacarme affreux de leurs cris et du battement de leurs ailes, et tant ils avaient de peine à s’échapper par les longues et étroites fenêtres».
L’érudit voyageur […] n’est peut-être pas tout à fait dans le vrai lorsqu’il donne à cette église une origine Pisane; car, si nous en croyons l’historien Fara, ce temple chrétien, où plutôt cette basilique, daterait d’une époque bien plus ancienne, comme on le verra ci-après.
L’église est bâtie en pierres taillées, ou plutôt fendues dans le granit de lieu et des environs, qui ont la forme d’un parallélogramme; elles sont liées avec de la chaux; tout l’ensemble de l’édifice est lourd et triste.
En voici une vue que j’ai prise jadis à la chambre claire.
Il parait que la première destruction de la cité d’Olbia a été faite […] entre les années 427 et 468, pendant lesquelles eurent lieu en Sardaigne les principales invasions et les dévastations des Vandales. C’est seulement à cette époque que l’on doit, à mon avis, fixer le changement du nom d’Olbia en celui de Fausania, qui plus tard fut remplacé à son tour par ceux de Çivita et de Terranova.
Depuis cette époque, c’est-à-dire depuis les ravages faits dans l’île et surtout à la côte, par les Sarrasins, le nom de Fausania disparut; ce qui semble annoncer que la ville de ce nom fut de nouveau détruite.
C’est après ces vicissitudes que commence à paraître le nom de Civita mais seulement lorsqu’il s’agit de siège épiscopal ou d’une pièce religieuse, car le nom de Terranova fut en même temps celui de la résidence en ce lieu de l’autorité laïque […] et fort probablement c’est aussi en ce lieu que demeuraient les juges d’origine Sarde. […]
Terranova à l’époque des Juges devait être une ville, et c’est, je pense, la véritable origine du nom de Civita donné à ce lieu par antonomase; dans la suite, elle fut réduite à la condition de simple village, parce qu’elle cessa d’être la résidence des juges de Gallura, et plus tard des évêques de ce nom. Il faut à ses malheurs ajouter les dévastations qu’elle eut à souffrir de la part des Génois et des Pisans, qui se querellèrent souvent sur son territoire; et enfin celles que lui firent éprouver les fréquentes incursions des pirates Musulmans.
En 1138 le pape Innocent II voulant dédommager l’archevêque de Pise des droits qu’il avait perdus en Corse, plaça les églises de Galtelli et de Civita sous sa domination; il devint par conséquent leur métropolitain. […] Par une bulle de Jules II (du 3 juin 1506) l’évêché de Civita ayant été réuni à celui d’Ampurias, son pasteur cessa alors de résider a Terranova. Cette réunion subsiste encore de nos jours.
Quant aux juges de Gallura, je me bornerai à dire que le dernier de ces petits souverains résidents à Terranova fut Nino-Scotto seigneur Pisan, qui hérita de ce judicat en 1280 et qui mourut en 1298, d’après les historiens les plus accrédités. Ce prince ne lassa qu’une fille, comme nous l’apprend Dante lui-même:
« Quando sarai di là dalle larghe onde,
Dì a Giovanna mia che per me chiami
Là dove agl’innocenti si risponde.
Non credo che la madre sua più m’ami,
Poscia che trasmutò le bianche bende,
Le quai convien che, misera! ancor brami.
Per lei assai di lieve si comprende,
Quanto in femmina fuoco d’amor dura,
Se l’occhio o ‘l tatto spesso nol raccende.
Non le farà sì bella sepultura
La vipera che ’l melanese accampa,
Com’avria fatto il gallo di Gallura. »
Quel que soit l’intérêt que ces beaux vers font naître en faveur du juge Nino, dont le grand poète se plaît à faire ressortir auparavant le noble caractère, on ne saurait s’empêcher de pardonner à sa veuve d’avoir substitué la vipère des Visconti au coq de Gallura, tout glorieux et honorable qu’il put paraître à l’orgueil offensé du premier mari; car certainement le château de Milan devait paraître à Béatrix d’Este un séjour préférable au donjon de Terranova.
Aussi c’est depuis la mort de Nino que ce dernier pays a perdu ses princes, et que la Gallura cessa d’être gouvernée par des juges; car à peine Nino fut-il mort, les Doria s’emparèrent d’une partie de ses provinces, et les Visconti de Milan, qui s’intitulèrent encore pendant quelque temps juges de Gallura, ne purent pas s’y maintenir. Enfin ces prétentions cessèrent en 1447 par la mort de Philippe Marie Visconti, qui ne laissa point d’héritiers légitimes, et alors l’héritage de Nino en Sardaigne, moins certains points, occupés encore pendant quelque temps par les Doria, échut de droit et de fait à Alphonse, roi d’Aragon.
Il existe encore maintenant des restes de l’ancien château de Terranova compris dans le village actuel, un peu vers le nord et près de la côte: c’était un édifice carré, assez spacieux, avec des tours, dont une avait une porte de sortie vers la mer; c’est évidemment une construction du moyen-âge; il est cependant difficile de juger si l’on doit la rapporter en partie au temps de la ville de Fausania, ou bien à celui qui a vu surgir Terranova sur les ruines de celle-là.
Ce château, et peut-être le bourg, furent fortifiés en 1322 par les Pisans avec le château Pédrès. En 1323 ce lieu fut assiégé par l’amiral Carros qui ne put s’emparer que d’une tour, probablement séparée du château. En 1324 les Pisans le cédèrent aux Aragonais. En 1335, le bourg et le château furent pris par les Génois, les Gallurais et les gens des Doria.
En 1553 cette population fut pillée et brûlée par le célèbre corsaire Dragut.
En 1710, pendant la guerre de succession, le comte de Castillo y débarqua avec 400 hommes qui furent vaincus près de S. Simplicius par les troupes de l’amiral Norris, mises à terre, au nombre de mille hommes; les Espagnols écrasés alors par le nombre, durent capituler et se rendre prisonniers. En 1717 un bataillon de troupes Autrichiennes fort de 420 hommes, qui avaient débarqué sur la côte de Terranova, s’étant aventuré dans une gorge de l’intérieur, fut contraint à mettre bas les armes par soixante miliciens Gallurais.
Le village actuel de Terranova est bâti au cordeau, avec une certaine régularité; ses rues sont parallèles et se coupent à angles droits; les maisons sont construites comme l’église de S. Simplicius, avec des pierres de granit taillées en parallélogrammes, tirées du lieu ou des environs; cette roche prend une teinte presque rouge pareille au plus beau granit des monuments Egyptiens.
SOURCES D’ILLUSTRATIONS
Dessins, cartes, peintures et lithographies du siècle XIX
Illustration dans ce livre
Craveri, Golfe de Terranova, 1739.
William Light, 1829. (Sur William Light 1 – 2).
Cartes postales et photos, fin du 19ème / début du 20ème siècle
coll. Marella Giovannelli
Photos contemporaines
Savatore Zizi – Flickr, Luca Farneti – Flickr, Shardan – CC BY-SA wikimedia commons, Mauriziolbia – CC BY-SA 4.0 wikimedia commons, G. Padula – Flickr, Christophe Dayer – Flickr, Aurelio Candido – Flickr