LA MADDALENA
par Albert de La Marmora
Itinéraire de l’Ile de Sardaigne
Turin 1860
Chez les Frères Bocca, Libraires du Roi
en italien:
Cette île et toutes celles qui l’avoisinent du côté de la Sardaigne, situées au sud du détroit, n’avaient jamais été regardées comme dépendantes du Royaume Sarde avant l’année 1767; alors seulement le vice-roi Des-Hayes y envoya une force navale, composée de petits bâtiments du roi, pour en prendre possession au nom de ce dernier; ces îles étaient à peine habitées par quelques familles de bergers, originaires de Corse. Celles-ci, dont les mœurs étaient paisibles, passèrent sans difficulté sous la nouvelle domination et à la vie sociale; elles se construisirent d’abord un petit fort pour se prémunir contre les attaques des Barbaresques et une église, sous le titre de la Trinité; elles firent bientôt alliance avec les familles des bergers de la Sardaigne septentrionale et en fort peu de temps il y eut en ce lieu une population de gens robustes, formée du sang des deux nations; mais ces insulaires retinrent leur ancien idiome, qui est une espèce d’italien corrompu.
Le point favori du futur vainqueur de Trafalgar était l’espace de mer qui sépare la Madeleine de la Sardaigne, nommé il Parau ou rade d’Agincourt. C’est là que cet infatigable marin épiait au passage les escadres Françaises, dans le cas d’une seconde expédition d’Egypte.
On raconte à ce sujet que pendant tout le temps que Nelson passa aux aguets dans les eaux de la Madeleine, il ne descendit jamais à terre, car il avait juré de ne quitter son bord que lorsqu’il aurait battu ses ennemis. Son séjour continuel sur son vaisseau ne l’empêcha pas de faire des largesses aux habitants du lieu, qui montrent avec empressement et orgueil aux étrangers, des chandeliers et une croix en argent, avec un Christ doré, donnés à leur paroisse par cet amiral protestant.
L’église paroissiale est passablement belle; elle fut bâtie au moyen d’offrandes, et surtout par le travail matériel des habitants de l’endroit, qui s’y employèrent à tour de rôle, tandis que les femmes et les enfants se chargeaient du transport des pierres et de la chaux.
Entre la Madeleine et le cap de l’Ours, se trouve un autre îlot granitique de la même grandeur que li Sparagi, nommé S. Stefano, qui a acquis une certaine célébrité depuis l’an 1793; car c’est là que le jeune Napoléon Bonaparte fit ses premières armes, et c’est de là, qu’en lançant quelques bombes et quelques boulets sur la Madeleine, il préluda à cette immense consommation de poudre de guerre dont le fracas devait ensuite retentir sur tant de champs de bataille, et dans toute l’Europe.
Le 21 février, lorsque la petite flottille Française, composée d’une corvette et de 22 voiles latines, aborda à Mezzo-Schiffo, la seule corvette s’y arrêta; les autres bâtiments allèrent au mouillage de Villamarina, d’où ils débarquèrent dans l’île de S. Stefano environ 800 hommes. À peine la corvette eut-elle jeté l’ancre, qu’elle ouvrit son feu contre les deux demi-galères Sardes et une galette, qui se trouvaient dans la Cala Gavetta, ou port de la Madeleine, et contre le pays.
Cependant cette corvette, fort incommodée par des boulots lancés du fort Balbiano et par les projectiles rougis que lui envoyait une batterie improvisée en un lieu de la Sardaigne dit Teggia, levait l’ancre et se réunissait aux autres navires mouillés dans le port de Villamarina.
Les trois bâtiments de guerre Sardes, commandés par le chevalier de Constantin, craignant un débarquement immédiat de l’ennemi et voyant toute résistance inutile de leur part, se retirèrent dans le canal de la Moneta, en essuyant les coups des Français qui avaient déjà établi leur batterie dans l’îlot de S. Stefano, en un lieu dit la Puntarella.
Les autres bombes qui suivirent celle-là éclatèrent presque toutes; la deuxième frappa l’angle de la même église vers l’ouest; elle éclata et blessa à la figure un nommé Simon Ornano, qui accourait armé à la défense de son pays. La troisième et la quatrième tombèrent sur le toit de l’habitation de feu Joseph Fenicolo [Ferracciolo], contiguë à l’église; cette maison en fut notablement endommagée; la cinquième éclata sur la place de l’église et fit des dégâts aux maisons voisines; un boulet entra par la fenêtre de devant de la même église et alla tomber au pied de la statue de la patronne, Sainte-Marie-Madeleine, sans causer de dommage. Une autre bombe tomba sur l’habitation de feu Paul Martinetti, une autre sur celle de feu Michel Costantini; elles éclatèrent et ne firent pas grand dommage; une dixième frappa le toit de la maison de feu le commandant Millelire; elle éclata et on en conserve encore aujourd’hui un fragment dans la famille; une autre enfin tomba sur la place du môle; elle n’éclata pas, et fut recueilli par le père de celui auquel je dois cette notice; c’est celle qui se trouve maintenant placée sur le sommet d’une petite pyramide élevée sur le môle, à l’occasion de la visite faite à la Madeleine par le roi Charles-Albert en 1843.
Cette pièce fut positivement laissée par le jeune Bonaparte à coté du mortier; dans la batterie de S. Stefano, qu’il dut abandonner malgré lui en toute hâte. C’est avec cet instrument en bois qu’il pointa ce mortier, et c’est par conséquent le premier instrument de guerre dont cet homme extraordinaire fit usage dans son étonnante carrière militaire; à ce titre c’est un objet bien précieux et unique.
Cet instrument fut immédiatement saisi par M. Ornano, alors officier de marine, natif de la Madeleine et originaire de Corse; il commandait les bateaux conduisant à l’île de Santo Stefano la troupe, qui débarquai d’un côté dans cet îlot, au moment où les Gallo-Corses s’en allaient de l’autre, en laissant 14 prisonniers qui n’eurent plus le temps de s’embarquer. M. Ornano, devenu officier général, conserva pendant toute sa vie ce trophée, dont il avait été le premier à se saisir; à sa mort, il le légua à son gendre, feu le vice-amiral comte Albini, qui déposa cette pièce dans une espèce de musée de la Marine Royale à Gènes dit Sala dei Modelli; et c’est là qu’elle se trouve encore (portant le n° 221) au moment où je trace ces lignes (août 1859).
Quant aux bombes dont il a été question, je garantis l’authenticité de celles qui existent encore entières ou en fragments; ce sont, 1° celle possédée par l’actuel Consul général d’Angleterre à Cagliari, M. Craig; 2° celle qui est placée sur la pyramide du mole de la Madeleine, avec une inscription; 3° enfin, le fragment conservé par les héritiers Millelire. Tels sont les témoins historiques qui nous restent de cette expédition fort peu connue dans le monde.
SOURCES D’ILLUSTRATIONS
Dessins, peintures et lithographies du siècle XIX
Alessio Pittaluga, Berger de la Gallura, ca 1826, IN Royaume de Sardaigne dessiné sur les lieux. Costumes par A. Pittaluga [lit. gravée par Philead Salvator Levilly], Paris – P. Marino, Firenze – Antonio Campani, 1826, rist. Carlo Delfino 2012.
Nicola Benedetto Tiole, Habitants de l’Isle de la Magdalaine, ca 1819-1826, IN Nicola Tiole, Album di costumi sardi riprodotti dal vero (1819-1826), saggi di Salvatore Naitza, Enrica Delitala, Luigi Piloni, Nuoro, Isre 1990.
Nicola Benedetto Tiole, Habitants aisés de l’Isle de la Magdalaine, ca 1819-1826 op. cit.
Agostino Verani, Habitants de La Maddalena, ca 1806-1815, IN Scoperta della Sardegna. Antologia di testi e autori italiani e stranieri, a cura e introduzione di Giuseppe Dessì, Milano, Il Polifilo, 1967.
John Francis Rigaud, Horatio Nelson, 1781.
Henri Félix Emmanuel Philippoteaux, Napoleone Bonaparte, 1835.
Antoine Roux, Corvette française, 1806.
Cartes postales et photos, fin du 19ème / début du 20ème siècle
collection de lamaddalena.info; associazione Corisma – La Maddalena; Antonio Frau
Photos contemporaines
Antonio Frau, Salvatore Zizi – Flickr, Gianni Careddu CC BY-SA 4.0 – wikimedia commons, Claudio Ieli – Flickr