CAPO TESTA
par Alberto La Marmora
Itinéraire de l’Ile de Sardaigne
Turin 1860
Chez les Frères Bocca, Libraires du Roi
en italien:
La presqu’île dont il s’agit peut avoir de quatre à cinq milles marins de circonférence; elle consiste principalement en une masse granitique, découpée à la côte par quelques criques, et recouverte vers l’est par un dépôt de terrain marneux et arénacé, de formations tertiaire et quaternaire; le dernier de ces terrains consiste en un grès coquillier qui passe à des dunes de sable. La présence du terrain tertiaire en ce lieu, qui est le seul endroit de toute la Gallura où on le rencontre, est importante, car ces dépôts sont parfaitement identiques avec ceux sur lesquels est bâtie la ville de Bonifacio, qui se trouve en face de la Testa, de l’autre côté du détroit. […]
Ces carrières sont au nombre de trois, dans la seule presqu’île de la Testa; celle qui est plus à l’est et tout contre la mer, se nomme Cava del Capiccuolo; on y voit une grande quantité de blocs de granit qu’on croirait au premier abord détachés, disloqués et entassés les uns sur les autres, par les flots de la mer; mais en y regardant de près on reconnaît bientôt qu’ils furent ainsi façonnés et bouleversés par la main de l’homme. Ce qu’il y a de curieux c’est que malgré que ces pièces soient ainsi exposées depuis bien des siècles à l’influence des agents destructeurs atmosphériques, et à celle des eaux de la mer, qui les couvre, ou du moins, qui les arrose bien souvent, leur surface n’est presque pas altérée; ce qui est une preuve palpable de l’excellente qualité de cette pierre.
On voit en ce lieu une trentaine de colonnes ébauchées, ayant environ quatre mètres de longueur sur 0m. 50c. de diamètre; j’en ai même mesuré une, presque achevée, qui compte 7m. 30c. de long, sur près d’un mètre de diamètre à sa base. Non loin de là on en trouve une quantité d’autres, de moindres dimensions, sans compter de petites colonnes, également en granit, fichées en terre; elles servaient, sans aucun doute, à amarrer les bateaux qui s’approchaient des bords de cette carrière, pour charger les pièces travaillées. On remarque même en ce lieu des restes d’anciennes habitations.
Les masses granitiques de cette localité sont séparées par de profondes fissures, dont quelques-unes sont baignées par la mer à leur partie inférieure. Comme on trouve aussi des vestiges de carrières semblables dans l’îlot del Cavallo appartenant à la Corse, placé dans le même détroit, on peut croire que l’exploitation du granit de ces deux localités remonte à une même époque, et que ce furent les Romains qui les premiers ouvrirent ces carrières. Dans cette pensée, ayant dû faire un voyage à Rome en 1828, j’apportai avec moi un échantillon du granit pris dans ces mêmes carrières de la Testa, et je crus reconnaître que quelques-unes des colonnes qui ornent l’église de la Rotonda (ancien Panthéon), ont réellement été taillées dans cette pierre.
Le nom de ce port ou plutôt de cette petite baie, prenait infailliblement son origine d’une petite église de Sainte Reparata, qui existait presque au centre de la presqu’île en question, et que j’ai encore vue sur pied en 1823; elle a totalement disparu depuis. Nul doute que cette église n’ait été bâtie par les Pisans, en l’honneur d’une Sainte fort révérée dans leur pays, et que la presqu’île de la Testa ne fut nommée jadis, comme l’appellent encore aujourd’hui quelques personnes, Penisola di Santa Reparata. Il parait que le mouillage dont il s’agit est mentionné par les historiens Pisans comme un port jadis fréquenté par les navigateurs de celle nation. […]
Au centre de la presqu’île de la Testa s’élève un rocher granitique sur lequel on voit les débris d’une tour dite della Testa ou di Santa Reparata; elle m’a servi dans le temps de point trigonométrique de premier ordre pour rattacher mes opérations de la triangulation de la Sardaigne avec celles écoutées en Corse par MM. les ingénieurs Français. Cet édifice était déjà, il y a quelques années, dans un tel état de vétusté que, lorsque j’y allai pour la dernière fois, en 1836, je dus prendre des précautions, soit pour pouvoir parvenir sur sa plate-forme supérieure, soit pour y rester pendant mon opération; car la voûte menaçait à chaque instant de s’écrouler sous mes pieds par l’action du simple poids de ma personne et de mes instruments, et je faillis être enseveli sous ses ruines. […]
SOURCES D’ILLUSTRATIONS
Cartes du siècle XIX
Alberto de La Marmora, Carte démonstrative de la triangulation, 1835-1838, IN Alberto de La Marmora, Viaggio in Sardegna, a cura di Manlio Brigaglia, Nuoro, Archivio Fotografico Sardo, 1997.
Photos contemporaines
pattyvi – Flickr, par Danilo Loriga – Instagram, Salvatore Zizi – Flickr, Luca Sgualdini – Flickr, Fabrizio Fusari – Flickr
Romano Stangherlin, Gianfranco Galleri – wikimapia.org, Arnoldius CC BY-SA 3.0