CAPO TESTA

par Alberto La Marmora

Itinéraire de l’Ile de Sardaigne

 Turin 1860

Chez les Frères Bocca, Libraires du Roi

en italien: 

Pattyvi, Flickr - Capo Testa
Au nord de la tour de Vignola se trouve une presqu’île dite la Testa, peut-être parce que dans son contour elle offre à peu près la forme d’une tète humaine, mais plus probablement parce qu’elle constitue en quelque sorte le Caput viarum, d’où partaient jadis plusieurs des routes Romaines qui sillonnaient l’île du nord au sud. […]

La presqu’île dont il s’agit peut avoir de quatre à cinq milles marins de circonférence; elle consiste principalement en une masse granitique, découpée à la côte par quelques criques, et recouverte vers l’est par un dépôt de terrain marneux et arénacé, de formations tertiaire et quaternaire; le dernier de ces terrains consiste en un grès coquillier qui passe à des dunes de sable. La présence du terrain tertiaire en ce lieu, qui est le seul endroit de toute la Gallura où on le rencontre, est importante, car ces dépôts sont parfaitement identiques avec ceux sur lesquels est bâtie la ville de Bonifacio, qui se trouve en face de la Testa, de l’autre côté du détroit. […]

Danilo Loriga - Capo Testa
Le granit de te Testa est le même que celui de Tempio, du Mont Limbara et de presque toute la Gallura; il se distingue cependant à la Testa, de celui de ces localités, par des cristaux assez gros de feldspath orthose d’un rouge un peu violacé; son grain est homogène, ce qui le rend facile à fendre en longues pièces et en blocs volumineux; aussi cette qualité n’a pas échappé aux Romains, qui ont ouvert dans cette presqu’île plusieurs carrières de cette pierre; plus tard celle-ci fut également exploitée par les Pisans.

Ces carrières sont au nombre de trois, dans la seule presqu’île de la Testa; celle qui est plus à l’est et tout contre la mer, se nomme Cava del Capiccuolo; on y voit une grande quantité de blocs de granit qu’on croirait au premier abord détachés, disloqués et entassés les uns sur les autres, par les flots de la mer; mais en y regardant de près on reconnaît bientôt qu’ils furent ainsi façonnés et bouleversés par la main de l’homme. Ce qu’il y a de curieux c’est que malgré que ces pièces soient ainsi exposées depuis bien des siècles à l’influence des agents destructeurs atmosphériques, et à celle des eaux de la mer, qui les couvre, ou du moins, qui les arrose bien souvent, leur surface n’est presque pas altérée; ce qui est une preuve palpable de l’excellente qualité de cette pierre.

On voit en ce lieu une trentaine de colonnes ébauchées, ayant environ quatre mètres de longueur sur 0m. 50c. de diamètre; j’en ai même mesuré une, presque achevée, qui compte 7m. 30c. de long, sur près d’un mètre de diamètre à sa base. Non loin de là on en trouve une quantité d’autres, de moindres dimensions, sans compter de petites colonnes, également en granit, fichées en terre; elles servaient, sans aucun doute, à amarrer les bateaux qui s’approchaient des bords de cette carrière, pour charger les pièces travaillées. On remarque même en ce lieu des restes d’anciennes habitations.

Romano Stangherlin
Romano Stangherlin
Non loin de cette carrière on en voit une autre plus considérable dite Cava grande di Capiccuolo: on peut la regarder comme la continuation de la précédente, mais elle est plus élevée au-dessus du niveau de la mer; on y remarque la roche fendue artificiellement en plusieurs directions, ce qui a produit des pièces de granit en prismes détachés, dont quelques-unes atteignent de 14 à 15 mètres de longueur. Cette forme prismatique offrait aux carriers une plus grande facilité pour ébaucher leur travail; car en formant ainsi chaque face d’un prisme, on préparait la face d’un prisme à faire.

Les masses granitiques de cette localité sont séparées par de profondes fissures, dont quelques-unes sont baignées par la mer à leur partie inférieure. Comme on trouve aussi des vestiges de carrières semblables dans l’îlot del Cavallo appartenant à la Corse, placé dans le même détroit, on peut croire que l’exploitation du granit de ces deux localités remonte à une même époque, et que ce furent les Romains qui les premiers ouvrirent ces carrières. Dans cette pensée, ayant dû faire un voyage à Rome en 1828, j’apportai avec moi un échantillon du granit pris dans ces mêmes carrières de la Testa, et je crus reconnaître que quelques-unes des colonnes qui ornent l’église de la Rotonda (ancien Panthéon), ont réellement été taillées dans cette pierre.

Gianfranco Galleri, wikimapia
Gianfranco Galleri, wikimapia
Quant à l’exploitation qu’en ont faite les Pisans, on a sur ce sujet des notions certaines. Deux annalistes Pisans, Tronci (année 1065) et Roncioni (liv. 3, p. 147) rapportent que les colonnes du Dôme de Pise avaient été transportées d’Afrique, d’Egypte, de Jérusalem, de Sardaigne et de plusieurs autres localités. Le même Roncioni (liv. 6, p. 372, 376) dit qu’en 1115 les colonnes de l’autre église, de Saint-Jean- Baptiste, on face de la première, furent tirées, en partie de la Sardaigne et en partie de l’Île d’Elbe; et il fait une mention spéciale d’une grande masse de granit qu’un nommé Cionetto avait transportée à Pise du port de Santa Reparata, sur la côte septentrionale de Sardaigne.

Le nom de ce port ou plutôt de cette petite baie, prenait infailliblement son origine d’une petite église de Sainte Reparata, qui existait presque au centre de la presqu’île en question, et que j’ai encore vue sur pied en 1823; elle a totalement disparu depuis. Nul doute que cette église n’ait été bâtie par les Pisans, en l’honneur d’une Sainte fort révérée dans leur pays, et que la presqu’île de la Testa ne fut nommée jadis, comme l’appellent encore aujourd’hui quelques personnes, Penisola di Santa Reparata. Il parait que le mouillage dont il s’agit est mentionné par les historiens Pisans comme un port jadis fréquenté par les navigateurs de celle nation. […]

Salvatore Zizi - Santa Reparata
Les carrières de la Testa ont été visitées par deux ingénieurs des mines, Piémontais, MM. Melchioni et Baldracco; le premier publia sur ce sujet une relation dans la Gazzetta Piemontese de 1836, n° 100, dans le but d’appeler l’attention du Gouvernement et des spéculateurs sur l’avantage qu’on pourrait tirer du granit de cette localité. […]

Au centre de la presqu’île de la Testa s’élève un rocher granitique sur lequel on voit les débris d’une tour dite della Testa ou di Santa Reparata; elle m’a servi dans le temps de point trigonométrique de premier ordre pour rattacher mes opérations de la triangulation de la Sardaigne avec celles écoutées en Corse par MM. les ingénieurs Français. Cet édifice était déjà, il y a quelques années, dans un tel état de vétusté que, lorsque j’y allai pour la dernière fois, en 1836, je dus prendre des précautions, soit pour pouvoir parvenir sur sa plate-forme supérieure, soit pour y rester pendant mon opération; car la voûte menaçait à chaque instant de s’écrouler sous mes pieds par l’action du simple poids de ma personne et de mes instruments, et je faillis être enseveli sous ses ruines. […]

Danilo Loriga - Capo Testa
par La Marmora - Carte de triangolation
Au pied septentrional de la tour en question se trouve une troisième carrière pratiquée dans le granit, nommée la Cava della Torre. On y voit des masses énormes de cette pierre, détachées par le travail de l’homme du flanc du monticule granitique; un de ces blocs aurait 15 mètres de longueur d’après M. Baldracco, qui l’évalue à 600 mètres cubes. Cette pièce est encore aujourd’hui intacte; elle présente une surface plane de plus de 100 mètres carrés; celle surface est le résultat de la manière dont le bloc a été détaché du rocher, au moyen de coins qui ont fendu le granit dans le sens de son clivage. On voit également près de là d’autres pièces de granit ainsi détachées, dont quelques-unes peuvent être évaluées de 50 à 70 mètres cubes de volume.
Gianfranco Galleri, wikimapia.org
Romano Stangherlin
Lorsqu’on a dépassé une espèce de vallon compris entre le monticule où est la tour et une autre éminence un peu élevée, on voit sur celle-ci le phare dit de la Testa, qui avec celui dit dei Razzuoli, dont il sera fait mention ci-après, éclaire la côte septentrionale de Sardaigne donnant sur les Bouches de Bonifacio. C’est un phare construit, il y a une vingtaine d’années tout au plus, d’après une convention passée entre les deux gouvernements de France et de Sardaigne, qui se sont entendus pour éclairer enfin ce passage dangereux, sur ses deux rives. Le phare de la Testa est de troisième ordre, à feux variés chaque trois minutes, par un éclair rouge, avec de courtes éclipses; la hauteur de sa lanterne ou tambour est de 73 mètres au-dessus du niveau de la mer, et de 21 au-dessus du sol; ses feux sont visibles à 15 milles de distance.
Luca Sgualdini - Phare de Capo Testa
Arnoldius - Phare Razzoli
par Fabrizio Fusari

SOURCES D’ILLUSTRATIONS

Cartes du siècle XIX

Alberto de La Marmora, Carte démonstrative de la triangulation, 1835-1838, IN Alberto de La Marmora, Viaggio in Sardegna, a cura di Manlio Brigaglia, Nuoro, Archivio Fotografico Sardo, 1997.

Photos contemporaines

pattyvi – Flickr, par Danilo Loriga – Instagram, Salvatore Zizi – Flickr, Luca Sgualdini – Flickr, Fabrizio Fusari – Flickr

Romano Stangherlin, Gianfranco Galleri – wikimapia.org, Arnoldius CC BY-SA 3.0

SANTA TERESA GALLURA et CAPO TESTA (Sardaigne)

I Percorsi dei Viaggiatori - Santa Teresa e Capo Testa
I Percorsi dei Viaggiatori - Santa Teresa e Capo Testa

1828 – Smyth         

1845 – Burdett         

1849 – Tyndale (Santa Teresa Gallura)         

1849 – Tyndale (Les Bouches de Bonifacio)         

1858 – Forester (Les Bouches de Bonifacio et Capo Testa)        

1860 – La Marmora (Santa Teresa Gallura)         

1860 – La Marmora (Capo Testa)         

1860 – La Marmora (entre Santa Teresa Gallura et La Maddalena)         

1933 – Seewald (Santa Teresa Gallura – Palau)                      

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